Quand on a déballé la Switch et Zelda au boulot, on a forcément voulu tester le passage du mode portable au mode TV. Et là, direct ça a fusé: “Oh putain, c’est moche!”, “T’as vu la gueule des textures dégueulasses?”, “Ça rame vachement, non?”. L’affaire était pliée en moins de 30 secondes pour certains.
Certes, le jeu montre les limites techniques d’un portage Wii U et de la moindre puissance de la Switch, et à moins d’un mètre d’un écran 50 pouces, ça ne pardonne pas. Mais ça fait mal à mon petit coeur de joueur.
Vu comme les jeux sont aujourd’hui immédiatement jaugés, analysés, comparés à l’aune de leur rendu graphique, de leur antialiasing et filtrage anisotropique, peut-être qu’il n’est pas si aberrant de chercher à montrer comment un jeu peut briller par d’autres aspects? J’ai essayé de le faire dans mon message ci-dessus sans forcément le comparer à un autre jeu, mais je comprends qu’on puisse chercher à faire passer le message en prenant en contre-point le jeu du moment, un autre open-world sorti le même jour, et jugé par beaucoup comme le summum technique sur consoles.
Si on fait abstraction du vocabulaire trollesque de jeuxactus (notamment son “met à l’amende” ), je pense que la question posée par la vidéo d’origine ou le message de Guillaume XIII est loin d’être inintéressante. Elle ne remet pas en question les qualités des deux jeux, assez différentes par ailleurs (s’il fallait comparer vraiment, Zelda est probablement plus proche d’un Far Cry je pense).
C’est sûr, la question du gameplay, de la physique, de l’IA vs. la technique graphique pure est loin d’être nouvelle, mais désolé les mecs, les joueurs en résistance contre la tyrannie du 4K ont enfin avec ce Zelda un jeu d’envergure à mettre en avant. On va pouvoir ranger un peu nos jeux indés arty au placard dans les débats!
À moins que ce soit juste du contre-troll, c’est là que la vidéo comparative montre ses limites: elle donne le sentiment que c’est juste du détail secondaire qui est comparé, alors que dans le cadre de Zelda le moteur physique est au cœur du jeu, ce n’est pas du tout une simple question de “couper trois brindilles”. C’est là d’ailleurs que la comparaison est injuste pour HZD: Zelda est tout entier construit autour des interactions physiques/chimiques entre les objets, c’est son essence même. Alors que HZD est techniquement beau, mais ce n’est pas l’élément essentiel du jeu. Sinon, il s’appelerait The Order.
Les devs du Zelda ont fait une présentation hyper intéressante à la Games Developper Conférence sur le sujet. Malheureusement, en anglais non sous-titré, mais pour ceux qui sont à l’aise, c’est assez passionnant, à défaut d’être pêchu (le japonais suivi de la traduction en anglais, ça tue le rythme). Les vingt premières minutes sont un peu creuses, mais les passages suivants sur la génèse du moteur physique par Takuhiro Dohta et sur la création du style graphique avec Satoru Takizawa sont ultra intéressantes pour ceux qui s’intéressent à la façon dont un jeu est fait.
S’il y a des personnes vraiment intéressées qui ne sont pas à l’aise en anglais du tout, je pourrai essayer de faire un résumé. Dites-moi, parce que c’est du taff quand même
Mais en gros, les développeurs ont d’abord réfléchi à leur objectif pour le jeu, à savoir un jeu dans lequel le joueur était libre et surtout “actif” dans sa façon d’aborder les problèmes. Ils ont conçu à partir de là un certain nombre d’idées et de concepts sur la façon dont les différents éléments du monde pouvaient interagir entre eux, qu’ils ont d’abord testé dans un moteur 2D utilisant les assets du premier Zelda:
Beaucoup d’éléments de la physique du jeu et de sa “chimie” (le fait qu’un élément, comme l’eau, puisse avoir un impact sur des objets, ou sur d’autres éléments comme le feu) ont d’abord été testés dans ce proto comme concept de gameplay. Tout le jeu a ensuite été developpé autour de ces concepts de gameplay fondamentaux, que ce soit pour l’exploration, les puzzles, etc. Il y a donc dans la vidéo des éléments qui sont des “détails” venant apporter de la vie au monde, mais beaucoup sont des éléments essentiels du jeu.
Le style graphique du jeu lui-même a été influencé par ces concepts. Les devs ont testé beaucoup de chose, mais sont finalement parti du style de Wind Waker, jugé comme le plus expressif. Néanmoins, pour que les règles physiques et chimiques jugées ci-dessus soient perçues comme crédibles par le joueur, ils ont dû le faire évoluer vers un peu plus de réalisme. Le “cartoon” n’a que faire de la physique.
Tu as donc 100% raison quand tu évoques le fait que le style du jeu permet plus de détails de ce type parce qu’il n’a pas besoin de pousser le réalisme à l’extrême, mais tu présentes la chose à l’envers: c’est en fait la volonté d’intégrer ces “détails” qui a guidé en partie le choix de la direction artistique. L’un des mots les plus souvent prononcés dans cette présentation est d’ailleurs celui de “mensonge”: les devs insistent très fortement sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une quête de “réalisme”, mais plus de “crédibilité” ou de “cohérence” du monde, pour répondre à des impératifs de gameplay, et pour que cela “évoque” au joueur des éléments physiques réels.
Il y même un passage à 1h16min qui illustre bien ton propos je pense, où Takizawa montre tous les raccourcis irréalistes que le style permet au jeu de prendre (“pouf!” le gibier se transforme en morceau de viande) et combien il aurait été bien embêté s’il avait dû représenter certaines animations de façon “réaliste”.
Mais justement, c’est un choix volontaire pour rester dans l’objectif recherché. Et ce qu’on applaudit, c’est justement cette volonté d’aller chercher une certaine alchimie entre les éléments physiques du monde, le gameplay et les graphismes, et d’aller chercher un peu dans d’autres directions.
La question se pose donc: la brindille est-elle l’avenir du jeu vidéo? Je pense que c’est un sujet parfait pour un podcast ça!